Miguel Cane

 


Miguel Cané (Montevideo, 27 janvier 1851 – Buenos Aires, 5 septembre 1905) était un journaliste, écrivain, avocat, diplomate, homme politique, haut fonctionnaire et sénateur argentin.

Après un parcours de journaliste et de diplomate, il devint maire de Buenos Aires, exerça plusieurs fonctions dans la haute administration publique, et fut, dans les années 1890, ministre de l'Intérieur et des Affaires étrangères. Par ailleurs, il enseigna à l'université, et figure aujourd'hui comme l'un des écrivains les plus représentatifs de la dénommée Génération de 1880 de la littérature argentine.

Il parle ici de son maître, Amédée Jacques, quand il était étudiant.


Monsieur Jacques

Appelé à Buenos Aires par le gouvernement du général Mitre, il prit la direction du Collège National, en même temps qu'il tenait une chaire de physique à l'Université. Son influence se fit sentir immédiatement sur nous. Il organisa un programme complet pour l'examen du bac, qui était parfait, si ce n'est en un point : il était trop chargé. Mais M. Jacques, qui avait lui-même suivi de fortes études, soutenait que l'intelligence des jeunes Argentins était plus vive que celle des Français du même âge et que nous pouvions suivre ce programme sans trop d'efforts. Il était exigeant, mais il l'était d'abord avec lui-même. Il ne s'économisait pas.

Mes souvenirs, encore très vifs et clairs en ce qui concerne ce maître tant estimé, me le représentent avec sa grande taille, sa corpulence, sa démarche lente et nonchalante, son immuable costume noir, son col ouvert sur un cou de gladiateur.

Monsieur Jacques était dur, il avait mauvais caractère et pouvait être irascible. Il agissait alors avec une certaine brutalité et disait souvent : « Je ne peux pas aller contre mon caractère ».

Mais quand il parlait, nous étions sous le charme. Il pouvait parler pendant plus d'une heure, ce qui ne s'était jamais vu au Collège National. Il lui arrivait même de fermer la porte de la classe pour qu'on n'entende pas la cloche et il nous gardait une demi-heure de plus. Quand il était de bonne humeur, sa parole était facile, élégante et lumineuse. Par moment, il s'oubliait et parlait en français, langue que nous comprenions tous alors.

Un matin, nous étions tous sous le cloître, étonnés de ne pas voir apparaître M. Jacques à neuf heures précises comme c'était son habitude. Un de mes camarades arriva en courant, il était pâle et en pleurs ; il nous annonça : « Monsieur Jacques est mort ! »

Le portier avait ordre de ne pas nous laisser sortir ; nous avons sauté le mur et nous allés à la maison de M. Jacques. Il était étendu sur son lit, rigide, avec sa superbe tête toute pleine de dignité. Nous n'avions pas de casquette pour le saluer ; alors nous nous sommes agenouillés comme dans un dernier adieu au maître que nous n'oublierons jamais.

Jamais je ne vais sur la tombe de mes parents sans passer devant la sépulture du maître et sans le saluer avec le respect profond dû aux êtres aimés.


Juvenilia



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