Patricia Zangaro

 


EL BARBERO DE SUEZ Monologue à deux voix pour Ludo Estebeteguy

Il s'agit de deux monologues intérieurs, celui du serveur et celui du client...


Le connard est toujours devant son jus d'orange ; il a le regard perdu, même si on a l'impression qu'il observe le fleuve. Je bouge un peu devant ses yeux, qui restent éteints, absents. Il doit se rappeler quelque cochonnerie. Un soir de baise avec des pédés. Est-ce qu'il écrit ses mémoires ? Je pourrais lui mettre la main à la poche, lui dérober son portefeuille sans qu'il s'en aperçoive. Je pourrais alors me balader une journée entière, gaspillant mon butin dans les bars, et pincer les fesses des filles. Maintenant il me regarde. Le connard a vu que je l'observais et il baisse les yeux, perturbé. Il prend son jus, le boit, il est nerveux.

Le dégénéré de l'autre jour, je ne lui ai pas laissé le temps d'avoir peur. A peine ai-je senti qu'il me palpait que je lui ai volé dans les plumes. Pédé crasseux. Venir me tripoter sans qu'on l'autorise. Moi, personne ne vient me tripoter sans être autorisé. Et si de temps en temps, j'accepte qu'on me prenne le cul, c'est par nécessité. Je préfère tripoter des billets plutôt que le pénis d'un connard quelconque.

J'ai la vague impression qu'il doit écrire des cochonneries. Je suis en sueur. Et toujours ce froid dans l'estomac, et ce feu dans la bouche. Je m'asphyxie. Une soif urgente. C'est vrai que je pourrais lui piquer son fric à celui-là.

Et le dégénéré est mort dans le puits. Moi, je suis parti avec mon passeport. C'est le père de Lucia qui m'a sorti de là. A condition que je disparaisse. Il me mit dans l'avion sans billet de retour. Et je suis ici, en train de pourrir sous le soleil par une journée pénible et la nuit je cuve mon vin sur un matelas dans une location. Main d’œuvre bon marché, voilà ce que je suis, un esclave, un sale émigré, racaille, ordure, déchet. Sans autre destin que de rouler dans la merde ou me perdre et terminer en taule.

Le connard me regarde. Il aura deviné mes pensées. Il porte la main à sa poche et il palpe son portefeuille. Il est pâle, il transpire. Il a les yeux fixés, avec envie, sur ma bouche. Une proie facile, s'il voulait en profiter. M'asseoir à sa table, me casser de ce bar, vivre avec lui. Il me fait rire. Il est tellement ridicule avec ses grands airs d'écrivain. Est-ce qu'il se rend compte qu'il me fait rire ? Il paraît vexé. Il ferme son ordinateur, il est furieux. Et il vide d'un trait son jus d'orange.




Maintenant il me regarde intrigué. Il a vu ma rage dans les yeux et il est mort de rire. J'ai les poings qui me démangent. Je pourrais le casser en deux. Cet insolent. Ignorant. De quoi il se moque ? Moi, personne ne m'a jamais pris pour un bouffon. Je connais bien ce genre de tantouze. Ils se prennent pour des messieurs, mais ils te présentent leur cul au premier billet. Juste avec un bon pourboire, je l'emmène à la maison. Je le fous à genoux sur le tapis jusqu'à ce que j'en ai assez. Jusqu'à effacer de ses lèvres cette moue moqueuse.


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