Au cinéma

 

Cinéma Lux Tripoli

Tous les vendredis, c'était un rituel immuable ; après la prière à la mosquée, après avoir mangé le bazin, après avoir fait la sieste obligatoire, nous nous dirigions vers le cinéma où, toujours, nous nous asseyons dans la même rangée, celle du milieu, dans les mêmes fauteuils. Mon père, avant le début de la projection, distribuait à chacun son bonbon.

L'assistance était composée essentiellement d'Américains, d'Anglais et d'Italiens qui venaient avec toute leur famille regarder les films d'Hitchcock, de Gary Cooper, de Charlie Chaplin, de Greta Garbo et de Toto, un comique italien populaire de l'époque. Les films étaient toujours présentés en version originale sous-titrée en arabe, ce qui était d'ailleurs à l'apprentissage des langues anglaise ou italienne.

Autant au cinéma Lux régnaient l'ordre, le silence et la propreté, autant c'était le chaos dans les autres salles (le Royal et le Gaby) : les spectateurs, pendant toute la projection, ne cessaient de grignoter des cacahuètes et tout en mastiquant consciencieusement de commenter le film. Mais le pire, c'était la fumée de cigarettes ; après une séance, il était indispensable de se laver des pieds à la tête.

Dans ces deux salles exiguës, la clientèle était exclusivement masculine ; les hommes se saluaient, discutaient et commentaient tout et rien. Certains lisaient carrément le sous-titrage à voix haute pour leurs amis qui écoutaient, fascinés en croquant des graines séchées de pastèque et de melon ou en écrasant sous leurs dents les petits pois chiches de couleur jaune, grillés et durs, de la belle ville de Sfax.

L'instant suprême, pour ces hommes, était l'apparition d'une femme un peu dévêtue sur l'écran : à ce moment-là, tout le monde se mettait à crier en même temps, ou bien un lourd silence s'installait, ponctué de temps à autre par le cri d'un spectateur : « Du savon, du savon, nous voulons des savons ! », jusqu'au vacarme généralisé.


Kamal Ben Hameda « La mémoire de l'absent »

Cinéma Royal Tripoli



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