Yamen Manai
Avec Bel abîme, le jeune auteur tunisien Yamen Manai a écrit un roman qui nous donne à voir de manière brutale le mal-être traversant la société tunisienne, dix ans après sa révolution. Ce court texte, publié par les éditions tunisiennes Elyzad, s’ouvre sur une citation du groupe de rap NTM, I make music for my people, qui peut intriguer. La référence préfigure la rage qui imprègne les pages qui suivent et plus précisément le soliloque proposé au lecteur.
Mon avenir était déjà condamné bien avant tout ça. Pourquoi ? Parce que je suis né ici, dans ce pays, parmi ces gens, parmi vous. Comment expliquer que trente jeunes du quartier se sont jeter dans la mer s'ils avaient un avenir ici ? Pourquoi Tarek le cerveau s'est-il embarqué là-dedans, sa licence de maths collés contre sa poitrine, s'il avait un avenir ici ? Combien de fois il a écrit au ministère pour être affecté ? Et Ziwene le jardinier, avec son diplôme d'agronome ? Combien de fois il a écrit à l'office pour qu'il soutienne son projet d'agriculture biologique ? Il répétait à qui voulait bien l'entendre que l'Europe a donné au gouvernement des subventions pour les gens comme lui, et que cela faisait des années qu'il ne voyait pas la couleur de cette aide qui lui revenait de droit. Même Moussa le chat, le moins diplômé mais le plus futé de tous, il s'est livré au Grand Bleu alors que ce mec déteste l'eau au point de ne pas supporter une goutte de pluie. Tous ces gars, qui avaient le cul vissé aux chaises du Café des Sports à siroter le même capucin, et qui rêvaient d'un avenir comme d'un bus qui ne passe jamais, les voilà aujourd'hui qui nourrissent les poissons de leurs corps de noyés...
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