Han Kang

Han Kang vient d'obtenir le prix Nobel de littérature. Actuellement, on ne trouve de cette romancière coréenne que deux romans en langue française. Mais il existe aussi quelques nouvelles qu'on peut retrouver dans de vieilles éditions. Voici un extrait de l'une d'elles, qui montre tout le talent de Han Kang.

Les Chiens au soleil couchant

S'emportant encore une fois, le père a cassé des assiettes dans la cuisine. Puis il est entré dans la chambre, il a jeté par terre la photo de famille posée sur le rebord de la fenêtre et, pour finir, donné un coup de pied dans la télévision.

• Parle !

Il avait lâché le mot comme un cri de fureur, les lèvres serrées. Un éclair a semblé déchirer brusquement l'obscurité de la chambre.

• C'est à cause de cet enfoiré que tu tires cette gueule ? C'est ça ?

Il criait à tue-tête, la salive moussait au bord de ses lèvres. Il tournait les yeux dans tous les sens comme s'il cherchait encore quelque chose à casser.

• Cet enfoiré, il a eu de la chance l'autre jour. Si ses collègues ne m'avaient pas retenu, je lui aurais explosé la cervelle. Salopard... Et en plus il ricane quand il se fait taper dessus...

Ces mots, il les avait littéralement crachés. Sa pomme d'Adam s'agitait. Dans ses poings serrés, il aurait pu broyer du fer.

• Si c'est pas ça, pourquoi tu dis rien ? Pourquoi tu dis pas que c'est pas ça ?

C'est à ce moment-là que la mère s'est mise à hurler :

• … Je peux pas vivre comme ça !

Alors que, depuis presque un mois, elle n'avait pas eu la force de bouger la tête ni même d'ouvrir la bouche, la soudaineté de son cri fut pour l'enfant un choc encore plus fort que la violence du père.

• Ce serait un jour, un mois, un an ou deux... mais toute une vie comme ça : non ! Tu sais que c'est un miracle qu'on ait pu vivre ensemble jusqu'à maintenant ? Un vrai miracle...

Ses lèvres tremblaient. Sa frange ébouriffée tombait sur ses yeux enfoncés dans les orbites.

• ... Je peux pas vivre comme ça, j'en ai assez ! Cette foutue maison aussi, j'en ai vraiment ras le bol !

L'enfant s'est recroquevillée. Pour ne pas attirer l'attention de ses parents, elle s'est faite toute petite. Collée au mur, elle avait beau essayer de se replier encore plus, son corps ne se rapetissait jamais assez.