Néstor Ponce


Une vache tu seras sous peu
(Una vaca ya pronto serás, 2006)
Anne-Claire HUBY (traducteur)
Né à La Plata (Argentine) en 1955 et installé en France depuis 1979, Néstor Ponce est professeur en langues et civilisations hispano-américaines à l'université de Rennes-II. Il est en outre l'auteur d'un livre de poésie, Sur (1982), et de fictions : El intérprete (Prix Fondo Nacional de las Artes 1998), Hijos nuestros (2004), Perdidos por ahi (2004), ainsi que d'une dizaine de travaux critiques dont Diagonales del Género (2001) et Crimen, anthologie de la nouvelle noire et policière d'Amérique latine (2005).
Néstor Ponce réside en France depuis 1979.

 

Une vache tu seras sous peu

Quand les destins d'un prêtre évangélisateur italien et de Cipriano, un jeune Indien hors du commun se croisent dans le sud de l'Argentine du XIXe siècle, naît un récit qui entrelace espace et temps, brosse un tableau sans complaisance du sort réservé à la population indigène – du dénuement à la barbarie jusqu'à l'extermination – et introduit les visions et les rêves de Cipriano jusqu'au dénouement, qui vient mettre un terme bouleversant à la tension tissée au long des pages.
Un texte tout à la fois puissant et poétique.

Le docteur but de sa flasque doublée de cuir une gorgée rageuse de gin et s'essuya la bouche d'un revers de la main « Le froid et l'inconfort, merde. Mais c'est soutenir la patrie, c'est la guerre pour la christianisation. »

Des excès ? Bien sûr , comme dans toute guerre. C'est une guerre sale, non conventionnelle. Et en plus : il faut voir la tête de l'ennemi. Car qui pourrait soutenir le bras courageux du père de famille qui a perdu tous les siens dans un malón (incursion brève et violente des Indiens Mapuche contre les Espagnols) et l'empêcher de se faire justice en massacrant quelques infidèles farouches ? Après tout, violences et exactions s'expliquaient – sans être pardonnées – dans une situation limite, où ce qui était en jeu était l'avenir national et la domination de l'humanité, la civilisation et la raison. Le sang aveuglait la campagne, mais pour qu'y fleurissent des villages et des cultures, des chrétiens serviteurs de Notre Seigneur et le progrès des chemins de fer et des moulins à vent.

L'extermination des Indiens par les chrétiens restera toujours une tache indélébile, d'autant qu'ils y ont ajouté la cruauté et le sadisme quasiment systématiquement. 

La loutre n'avait aucune brèche pour sortir. L'Indien attaché, bien ajusté sur le récipient, ne pouvait bouger, obstruait toute issue, toute lumière. Ils le laissèrent là, sur le cercle de terre qui s'ouvrait au milieu du campement, près du feu. Des seaux d'eau pour qu'il ne meure pas de soif.


Au besoin, vous lui mettez de la nourriture avec un entonnoir pour qu'il ne clamse pas de faim.

La troupe fit une belle java, mais ensuite manger près d'une odeur si forte devint désagréable. Le jour se leva. Il pleuvina. Le ciel se dégagea. Soleils et lunes se succédèrent. Le type toujours attaché.
Un matin un hurlement les réveilla. La loutre affolée cherchait une sortie à travers le corps du sauvage. La bête avait faim. Elle devait s'être fatigué de mâcher la merde et de boire l'urine du sorcier. Elle cherchait quelque chose de plus substantiel. Elle cherchait à sortir par l'oeuvre et la grâce de sa propre bouche. La bête subsiste par son instinct. Et impose sa conviction.

Un livre dont on se souvient, écrit dans une superbe langue, parfois déroutante, mais d'une grande puissance.

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