Susana Freire

 


CARTON PLEIN (2016) de Susana Freire. L'action se passe dans le milieu des «cartoneros », population de gens pauvres qui vivent de la vente et revente de cartons qu'ils amassent en grande quantité.

Voici la toute fin de la pièce :


TURCO (pleurnichant) – Il n'y a rien à faire. On ne pourra jamais s'en sortir. Mon ami m'escroque. Ma fille me vole. Ma propre fille. (allant vers le VIEUX) C'est toi qui lui as dit où était le fric. (le VIEUX ne répond pas) C'est à toi que je parle, vioque de merde. (il lui donne une baffe, le VIEUX ne réagit pas) Ce n'est pas la peine de faire semblant de dormir, tu vas me payer ça. (une autre baffe, le VIEUX ne réagit pas) Hé quoi ? Il est mort ? Il en serait bien capable. Rien que pour continuer à se foutre de moi, il est capable de mourir. (il s'agenouille à côté du VIEUX et il lui met un doigt dans la narine pour voir s'il respire) On dirait que cette fois c'est sérieux. (il lui tapote la joue avec un journal) Il n'y a plus rien à faire : un malheur ne vient jamais seul. (il va à la table et s'assoit ; puis il prend le revolver) Par-dessus le marché, mon fils est poursuivi par la police, ma femme est partie sans même préparer quelque chose à manger. Qu'est-ce que je vais devenir : un pauvre type abandonné, et qui va s'occuper de moi quand je serai vieux ? A cause de celui-là, j'ai perdu le peu de fric que j'avais pu récupérer. Je n'ai plus d'autres solutions. (il regarde le revolver avec étonnement et beaucoup de crainte, il le dirige avec sa tête et se bouche une oreille. Il s'arrête. Puis, avec curiosité, il se met le revolver dans la bouche et se bouche les yeux. Puis le revolver redescend ; il se met à pleurnicher) Ce n'est pas juste que cela m'arrive à moi, mais il n'y a plus d'autres solutions. Il paraît qu'on ne souffre pas beaucoup. (il regarde le revolver) Il y a des balles ? (il vise le mur et tire. On entend un déclic. Il regarde son arme, tire à nouveau. On entend un autre déclic) C'est mon destin. (il regarde l'arme et pleurniche de nouveau) Tout le monde m'a trompé, et maintenant toi aussi, maudit flingue. (il commence à regarder le revolver avec attention) Il est juste un peu rouillé. (il continue de le regarder) Mais il n'est pas si mal. Peut-être qu'il peut encore servir. Combien je pourrais en tirer ? Eh le vieux, qu'est-ce que tu en dis ? Il peut valoir au moins quelques centaines de pesos. On trouvera toujours un pauvre type qui en aura plus besoin que d'autres. Tu ne crois pas, hein ?

Et la Leonor, où elle est partie ? J'espère qu'elle se souviendra qu'il faut revenir parce que je commence déjà à avoir faim. J'ai toujours été délicat. Tu sais, le vieux, quand j'étais gamin, ma vieille devait me préparer une nourriture spéciale pour que je la garde dans le ventre. C'était une autre époque, les gens étaient plus heureux... et il n'y avait pas tant de voleurs. Bon, maintenant aussi ils nous promettent des jours meilleurs. (il reste pensif) Ils vont finir par nous donner quelque chose. Tu ne crois pas, le vieux ? Ca fait si longtemps que nous attendons et un de ces jours... oui, il y en a un qui a dit ça et je crois qu'il parlait sérieusement... et nous serons tous sauvés. Moi, je garde espoir... j'ai toujours eu espoir... Toujours j'y ai cru... Toujours.

(il continue de parler au VIEUX en même temps qu'il nettoie le revolver. La musique se fait plus forte et la lumière diminue. Progressivement noir)

FIN


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