Séance de signatures à la Maison de la Presse

 

Séance de signatures à la Maison de la Presse de Beauvais


J'étais assis avec mes livres sur la petite table en bois et j'attendais. A la Maison de la Presse on ne se pressait pas. Comme je n'avais pas trop de clients, la direction m'apporta gentiment un café. Devant moi s'étalait en grosses lettres la une du journal local : « Il porte plainte contre Léon le paon ». Et en page 3 : « Un habitant veut faire taire Léon ; les propriétaires du paon contre-attaquent. » Certes on comprend l'émotion que peut susciter un tel événement, mais j'étais quand même surpris de constater que le journal se vendait vite, au point qu'il a fallu rapidement réapprovisionner le casier.

Un monsieur, me voyant si seul, face à tous ces titres de la presse, vient me voir.

  • C'est vous que vous l'avez écrit ?

  • Oui, enfin celui-là, oui. L'autre, je l'ai traduit.

  • Moi, des livres, j'en ai sur ma table de nuit que je sais plus où mettre ma lampe. Alors, je vais pas en reprendre encore, vous comprenez.

  • Je comprends.

« On ne peut pas mettre une ficelle autour du bec de Léon ; ce n'est pas possible, on est à la campagne ! »

« Je vous rappelle que le paon est un animal exotique, qu'il vit dans les forêts d'Asie du sud, en Inde et au Sri Lanka et qu'il n'a pas sa place dans une ferme ou une basse-cour française. »

De mon côté, j'ai tout de même eu la visite de quelques acheteurs de mon bouquin, qui sont repartis avec leurs dédicaces. Je me suis appliqué. J'ai soigné mes premières dédicaces. J'étais plus impressionnés que les gens qui m'achetaient le livre.

Une dame est venue me trouver, me croyant vendeur du magasin, pour me demander si je savais pourquoi la semaine précédente il n'y avait pas le programme-télé dans le Courrier Picard. Franchement, je n'en savais rien et j'en étais désolé.

  • Bon, je vous demander à la vendeuse là-bas, elle a l'air plus dégourdie.

« La nuit, il braille tout le temps, toutes les sept minutes, j'ai calculé. Dès que les jours augmentent, en mars-avril, il gueule tout le temps et il se calme au début de l'été. »

« La nuit, c'est uniquement le temps de l'accouplement, jusqu'au 21 juin. Et puis, il crie un coup et c'est tout. Il crie aussi quand une voiture passe, mais c'est nettement moins pénible qu'un chien qui aboie sans arrêts ! »

  • Vous pouvez me faire une dédicace qui ne serait pas pour moi ?

  • Bien sûr.

  • C'est pour un copain, Lucien. Lui, il ne viendrait pas, alors j'y vais pour lui. Parce que moi, je ne lis pas et lui, il ne se déplace pas, alors on se débrouille.

  • « A Lucien, avec toute ma sympathie pour ce lointain lecteur ».

« Les sons et les odeurs font désormais partie du patrimoine commun de la nation, au cas où vous ne sauriez pas. Et puis, à part lui, j'ai tout le village avec moi. »

« Je serai peut-être appelé à le faire abattre, pas par moi, mais par un ami chasseur. Et qu'on ne me dise pas que je n'ai pas le droit, je suis justement dans mon droit. »

« Quand on n'aime pas les bruits de la campagne, on va ailleurs. »

« C'est faux que je n'aime pas la campagne, c'est moi qui a décidé de vivre ici. Mais pour moi la campagne, c'est le calme. »

Ma petite entreprise, à côté de ces grands drames passionnels, n'a pas connu la crise néanmoins : j'ai vendu cinq livres, ce qui n'est pas si mal pour un débutant. Et au moment où je remballais et qu'on vendait les 253ème exemplaires du type qui porte plainte contre Léon, une femme élégante se précipite vers moi :

  • Ma copine a acheté ce livre, je le veux absolument.

  • Mais madame, le client est roi.

Et je suis sorti de la Maison de la Presse en me pavanant comme un paon.


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