Myriam Tadessé

 

Abeba vivait dans une insondable vacuité, se levant à midi, flânant les rendez-vous dans un voiture de sport rouge vif, ongles laqués et cul moulé dans les dernières étoffes à la mode. Sa chambre, nichée au creux de la pénombre des persiennes, fascinait littéralement la petite fille que j'étais, avec des dizaines de flacons de parfum, ses produits de beauté, les colifichets, écharpes et robes lascivement étalées sur les fauteuils avec, au centre, la demoiselle lovée dans le moelleux du lit, telle une chatte siamoise. Mon cousin adorait lui faire des farces et avait dissimulé un jour un magnétophone sous son lit pour enregistrer ses ébats nocturnes. Comment a-t-il survécu à cela reste un mystère. Pauvre petite fleur qui n'avait en guise d'éducation que de la complaisance pour ses caprices, visant à compenser la lâcheté du père. Car papa payait, largement, à condition que l'on se contente de son nom. Il ne mit jamais les pieds dans la maison de ma petite tante qui dut se résigner à vivre en cachette une liaison pourtant connue et acceptée de tous. Elle ne renonça jamais à la joie ni à la soif de vivre, saisissant les bonheurs comme ils venaient et illuminant de ses yeux rieurs les infortunes de l'existence.

Et il y en aura. La révolution avec son cortège d'emprisonnements et d'exécutions arbitraires la séparera de son amant avant de l'entraîner à son tour avec leur fille dans les geôles pour « ennemis potentiel de la révolution ». Trois années plus tard Asseguedetch sera relâchée, sans son enfant, condamnée elle à tricoter entre les portraits de Marx et de Mao en attendant une libération tout aussi arbitraire que son incarcération. Petite tante alors se fêlera doucement comme une flûte de bambou. La maladie l'emportera avant qu'elle ne revoie Abeba enfin libre.


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