KIm Ae-Ran

Les Goliath aquatiques

Le pourtour de l’immeuble était défiguré par des trous noirs béants. Il y régnait une atmosphère humide et sinistre. La nuit venue, les contours du bâtiment promis à la démolition se détachaient faiblement au milieu de la côte. Il faisait noir et seul notre appartement éclairait l’obscurité. Mais c’était une lueur fragile que nous devions à la lampe-torche ou à la bougie. Des aboiements de chien se faisaient parfois entendre au loin. L’animal abandonné pleurait de faim, emprisonné dans une pièce. Nous tentâmes plusieurs fois de partir à sa recherche, mais en vain. Le bruit ne provenait jamais du même endroit. Il résonnait tantôt au sous-sol, tantôt au 1er étage, voire dans le logement d’à côté. C’était aussi incongru que macabre… Pendant plusieurs jours, ma mère et moi dûmes écouter la lente agonie du chien. Le son s’élevait quotidiennement des tréfonds d’une habitation communautaire, emporté par le gémissement du vent. Et le jour où il cessa, nous sûmes que tout était fini. Ma mère et moi faisions nos petites affaires dans un cabinet de toilette aux murs fissurés. Nous prenions nos repas dans une cuisine sans gaz et dormions dans une chambre où le ventilateur ne marchait plus. Nous étions conscients que notre séjour ici ne pouvait s’éterniser. Nous savions que le Gangsan se délabrait peu à peu, comme s’il avait décidé de se suicider. Mais nous n’avions pas le choix, faute d’un autre endroit où aller. Nous étions en deuil. L’avis d’évacuation tomba lorsque mes parents finirent de rembourser le prêt immobilier. Il leur avait fallu vingt années pour devenir pleinement propriétaires, et voilà qu’un nouveau venu se prévalait de leur bien. L’indemnisation s’avéra ridiculement basse. La somme ne suffisait pas à financer l’achat d’un autre logement. Inquiet, mon père assistait à plusieurs réunions en compagnie des anciens du quartier. Puis, quand le jour se levait, il se rendait sur le chantier de la ville nouvelle pour bâtir des immeubles avec un air coupable. Il soudait des tuyaux et des tiges de renfort, accroupi dans son coin. Un jour, des inconnus vinrent nous annoncer son décès. Ils racontèrent que mon père avait chuté d’une grue de 40 mètres mais leurs propos étaient invérifiables.


Extrait du volume « Comment ça va chez vous »

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Jorge Ricci

Hororo