Pauline Saba

Zahira, en ce jour venteux, tissait une nouvelle bait al sha’er, une tente en poils de chameaux, avec une attention qui faisait froncer ses sourcils charbonneux, lorsque s’arrêta près d’elle ce tout jeune homme qu’elle n’avait jamais vu, et qui lui demanda de l’eau, d’une voix qu’elle n’aurait pas imaginée si grave. La bienséance lui interdisait de communiquer seule avec un inconnu, qui plus est de la tribu rivale, c’est pourquoi elle baissa pudiquement les yeux, le cœur battant, et ne répondit pas à sa demande implorante. Elle devina qu’il s’était perdu, la fatigue lui ayant fait perdre toute notion de sa direction. Le visage de Sabah était tanné par le soleil, et les gouttes de sueur coulaient le long de ses traits fins, laissant deviner par là qu’il ne pourrait supporter la chaleur plus longtemps. Il avait l’air hébété sous le soleil. Lorsqu’il réitéra sa question, sur un ton plus posé, plus grave encore, elle décida de l’aider et indiqua de son bras gracile le puits, situé quelques tentes au-delà. Il se mit en marche dans cette direction.

Elle se replongea dans son ouvrage, tressant rageusement les poils de chameaux entre eux, furieuse contre elle-même. Sabah s’arrêta près du puits où s’abreuvait déjà Selim à qui il demanda l’autorisation. En territoire Zalabieh, la règle de l’entraide était en vigueur, ce que savait Selim qui ne dissimula cependant pas une moue malfaisante en reconnaissant un Zaweideh. Sabah attendit son tour patiemment puis tira la longue corde pour ramener l’outre pleine à laquelle il se désaltéra longuement. Il osa même gaspiller les précieuses gouttes d’eau, l’or du désert, pour rafraîchir son front lisse. Sa soif étanchée, il retourna vers Zahira, pour la contempler encore une fois et garder dans son esprit ses yeux profonds, pour se les remémorer le soir avant de s’endormir, et lui dit simplement : « Merci pour votre générosité ». Il s’attarda quelques instants, attendant peut-être une réponse qui ne vint pas, ou un regard qu’elle ne lui accorda pas, avant de se remettre en route dans la direction de son campement. Zahira n’oublia jamais le timbre de sa voix ni la noblesse de son port.

Elle m’a abreuvé. Pas comme une mère allaite son enfant, non, elle ne m’a tendu ni son sein ni son outre. Elle m’a indiqué de son bras ferme le puits, assurant ma survie. J’ai goûté à leur or, grâce à elle. Je repars le corps hydraté et le cœur léger. J’ai vu des yeux plus bleus que l’eau des sources. Je n’oublierai jamais son regard. Je ne connais ni son nom ni le son de sa voix.

 

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