Kim Ae-Ran


 Née en 1980 à Incheon, Kim Ae-ran a 22 ans lorsqu’elle reçoit son premier prix littéraire et devient la plus jeune lauréate de Corée. Kim Ae-ran a passé la grande majorité de son enfance dans le village de Seosan et n’a découvert la vie à Séoul qu’à l’âge de vingt ans. Elle poursuit des études de mise en scène et d’écriture créative à l’université nationale des Arts de Corée. Elle a fait son entrée dans le milieu littéraire avec une nouvelle intitulée La Porte du Silence, remportant le Prix littéraire Daesan pour Étudiants, en 2002. Elle publie cette même nouvelle dans une revue trimestrielle Quarterly Changbi et devient rapidement la figure de proue de la jeune génération d’auteurs. Le succès des œuvres de Kim Ae-ran tient au non-sense, à la psychologie d’individus comiques à force d’être en échec, au dévoilement de secrets de jeunes gens ordinaires.


Cours Papa, cours

Lorsque j’étais foetus, mon propre utérus plus petit qu’une graine, je pleurais souvent par peur de l’obscurité autour de moi. À cette époque, j’étais minuscule avec un corps fripé et un tout petit coeur qui battait la chamade. Un temps où, privée du langage, je n’avais ni passé ni futur.

Ma mère avait alors annoncé qu’une carcasse qui ne savait parler était venue au monde comme une lettre à la poste. Elle avait accouchée sans l’aide de personne, dans un étroit studio à l’entresol d’un immeuble. C’était un jour d’été et le soleil, brillant comme du papier de verre, s’infiltrait sans retenue dans la pièce. Le haut du corps seul vêtu, ma mère gigotait, couchée à même le sol de la chambre, serrant une paire de ciseaux au lieu d’une main secourable à ses côtés. Par la fenêtre, on apercevait les jambes des badauds aller et venir dans la rue, et lorsque l’idée de mourir la prenait, elle labourait le sol à coups de ciseaux. Quelques heures plus tard, plutôt que de mettre fin à ses jours, elle coupa le cordon ombilical avec ces mêmes ciseaux. Ainsi lâchée dans le monde, je n’entendis plus les battements du coeur de maman et, dans le silence qui suivit, je me crus devenue sourde.

La première lumière que je découvris dans ma vie occupait l’exacte surface du soupirail. Je compris alors que la lumière nous vient de l’extérieur.

Je ne me souviens pas où était mon père lorsque je naquis. Il était toujours quelque part, mais ce quelque part n’était jamais chez nous. D’ordinaire, il rentrait tard ou bien ne rentrait pas. Coeur palpitant contre coeur palpitant, maman et moi restions dans les bras l’une de l’autre.

De sa grande main, elle frictionnait régulièrement mon visage et bien que je fusse toute nue, je gardais l’air sérieux. Ignorant comment lui prouver mon amour, je grimaçais à tout bout de champ. Je découvris rapidement que plus je fronçais mon visage tout plissé, plus maman riait. Je compris que s’aimer, ce n’était sans doute pas rire ensemble mais rire aux dépens de l’autre. Ma mère endormie, je me sentais seule. Dans ce monde devenu désert, un rayon de soleil semblait posé à l’autre bout de la pièce comme la lettre reçue d’un ancien amant resté courtois. La courtoisie, c’était la première forme de désagrément que je ressentais à l’égard de ce monde. À défaut de poches où y fourrer mes mains, je serrais les poings.

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