Ranimons l'irritation de Breton


Lorsqu'en 1985, il m'est venu l'idée un peu désinvolte de monter un spectacle intitulé « La Mariée mise à nu par ses célibataires, même » d'après le Grand Verre de Marcel Duchamp, l'excitation était à son comble. Ce fut un succès, notamment au festival d'Avignon où l'on refusait du monde même en jouant à minuit. Et nous avons joué cette pièce pendant trois ans. Elle fut traduite aussi pour la Suède et le Brésil.

Mais le souvenir que j'en ai gardé vient d'une représentation au festival de Coye-la-Forêt dans l'Oise. Le public était enthousiaste comme partout ailleurs, mais étaient venus ce soir-là, de Paris, Madame Duchamp et les gardiens du temple surréaliste, notamment Elisa Breton et Jean-Jacques Lebel. Madame Duchamp fut très amusée par le spectacle . Mais les autres faisaient une tête de six pieds de long, refusant de me serrer la main et se maintenant à une distance suffisante pour ne pas être en contact avec les pestiférés que nous étions.

Déjà j'avais eu maille à partir avec quelques « duchampiens » qui n'admettaient que l'on prennent ce titre pour faire du théâtre et de l'argent. Il est bien connu que les comédiens roulent sur l'or. J'en avais d'ailleurs parlé avec Madame Teeny Duchamp, qui nous avait d'ailleurs invités à manger dans sa magnifique résidence en banlieue. Elle me disait que son mari, Marcel, n'aurait vu aucun inconvénient à une telle adaptation scénique. Mais les spécialistes de Duchamp ne l'entendaient pas de cette oreille et ils savaient, eux, par télépathie, qu'il était furieux dans sa tombe.

Et c'est vrai que de voir cette rangée de personnes l'air sévère, la bouche méprisante, le front boudeur, m'a fait rire intérieurement, surtout de constater qu'ils étaient loin de vouloir entamer le moindre dialogue.

Et ces jours-ci, en lisant la revue « Mélusine », j'ai un peu compris. Je suis tombé sur un article de Michel Corvin sur le théâtre dada et surréaliste. Il montre l'irritation de Breton face au théâtre, et il écrit : En somme, entre Dada et surréalisme, la frontière est infranchissable en tous domaines et particulièrement en celui du théâtre : un théâtre dada est concevable si l'on comprend que Dada fait le théâtre de l'anti-théâtre ; un théâtre surréaliste par contre est proprement impossible à moins qu'on ne résolve l'antinomie de ces deux termes par une subversion totale du premier. Un seul dramaturge-théoricien s'y est livré à corps perdu : Artaud. Mais le mouvement surréaliste n'a pas su le reconnaître pour l'un des siens et il a manqué l'unique chance de donner à son ambition philosophique les moyens de se réaliser dans une tentative théâtrale.

De fait, ce soir-là, à Coye-la-Forêt, un commando de la trente-troisième heure s'était déplacé pour ranimer l'irritation de Breton.

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