Le grand jour

L'heure était grave. Il fallait mettre en route les machines pour qu'elles ne s'arrêtent plus jamais. Les mettre en route définitivement. Jusqu'ici, on avait fait marcher tous les moteurs et tout s'était bien passé. Mais, par prudence, on les avait arrêtés, surtout la nuit, pour les riverains. Et puis, on avait fait un essai nocturne pour voir, pour vérifier. En fait, les ingénieurs en avaient considérablement atténué le bruit et même les vibrations. Personne ne s'était, du reste, aperçu qu'elles avaient fonctionné une nuit.

Cependant, c'était passer à une autre étape que d'admettre que les machines n'allaient plus jamais s'arrêter. Au Parlement, il y avait eu quelques réticences, quelques manœuvres dilatoires. Les députés avaient cherché à gagner du temps. Mais l'économie les avait rappelés à l'ordre. Des citoyens avaient eux aussi, au moyen d'une pétition signée par plusieurs milliers de personnes, tenté de différer au moins un temps cette mise en route définitive. De guerre lasse, ils avaient abandonné la partie. Des scientifiques étaient apparus à la télévision expliquant qu' « il y avait un risque qui n'était pas évaluable, mais que les études actuelles démontraient la viabilité du projet ». Des anarchiste avaient bien essayé de saboter les machines, mais qualifiés par le juge de terroristes, ils purgeaient maintenant une longue peine de prison incompressible. Des militants écologistes s'étaient attachés, nus, aux barrières de protection pour attirer l'attention de l'opinion publique, disaient-ils. Ils ont été également condamnés lourdement pour exhibitionnisme devant mineurs puisque c'était un mercredi.

C'est le Président qui avait le redoutable honneur d'appuyer sur la manette. Il était 9 heures 35, ce 25 février. On a senti que son bras était hésitant au moment crucial, que sa main, d'habitude si précise quand il s'agissait de taper du poing sur la table, était agitée d'un petit tremblement. Pourtant c'était bien lui qui avait, à longueur d'interventions télévisées, rassuré tout son peuple, se faisant tour à tour professeur, physicien et bon papa.

L'inquiétude venait du fait que le processus était irréversible. Pour prendre un exemple dans le passé, il était impossible d'arrêter un haut-fourneau, c'était le condamner à mourir. Et d'ailleurs beaucoup étaient morts. Il fallait donc tirer les leçons du Xxème siècle et ne plus rien arrêter. Monseigneur Lustucru, archevêque de Paris et bedeau de la banlieue, était venu bénir les rouages, mais il n'avait pas eu le droit d'y jeter l'eau bénite de son goupillon. On craignait la rouille. Les autres grands sorciers avaient voulu eux aussi mettre leur grain de sel dans l'affaire, mais le sel, c'est encore pire que l'eau, bénite ou pas. On avait refusé poliment.

La télévision était concentrée sur l'événement. Tous les médias -qu'importait aujourd'hui un massacre de gamins rachitiques ou d'arbres exotiques- étaient concentrés dans un même espace et dans une seule respiration. Le patron des patrons patronnait.

D'un coup sec et nerveux, le Président abaissa la manette. Une lumière rouge clignota sur le tableau de bord. Un léger vrombissement se fit entendre dans la morne matinée de février. Tout était dit. Il faudrait maintenant ne plus jamais interrompre le travail. Il faudrait maintenant ne plus jamais interrompre le travail. Il faudrait maintenant ne plus jamais interrompre le gravail. Il faudrait lieutenant ne pyjama... Il faut demain ne plus rompre... Il faudrait quand même que SINON on va pas y arriver... Il faudrait... Il faudr... Et merde, déjà une panne !

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