Jorge Luis Borges

Voici comment Borges présente en 1923 son recueil intitulé « Ferveur de Buenos Aires » :
Si, dans les pages qui suivent, il y a quelque vers réussi, que le lecteur me pardonne l'audace de l'avoir composé avant lui. Nous ne sommes qu'un. De peu diffèrent nos néants, et les circonstances ont tant d'influences sur nos âmes que c'est presque un hasard que tu sois le lecteur de mes vers, et moi, leur rédacteur soupçonneux et fervent.

Les rues
Les rues de Buenos Aires
sont déjà passées dans ma chair.
Non les avides rues
qu'empêchent la cohue et l'agitation
mais les rues de quartier avec leur ennui paresseux,
presque invisibles à force d'être habituelles,
attendries de pénombre et de couchant
et celles-là plus loin
privées d'arbres pieux
où d'austères maisonnettes à peine se hasardent,
écrasées par d'immortelle distances,
à se perdre dans cette profonde vision
de ciel et de plaine.
Elles sont pour le solitaire une promesse
parce que des milliers d'âmes singulières les peuplent,
uniques devant Dieu et dans le temps
et sans doute précieuses.
Vers l'ouest, le nord et le sud
se sont déployés – et elles sont aussi la patrie – les rues ;
heureux les vers que je trace
si ces drapeaux y sont.

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