Alfonsina Storni




Poème nocturne

Il est très doux le silence de cette heure ;
quelque chose dans le jardin tremble et pleure.

Oh viens, que tes mains servent d'oreiller
pour que j'y pose ma tête tenaillée.

Je t'attendrai sur notre banc
et pour te plaire serai vêtue de blanc.

Ne t'attends en arrivant à ce que je trotte
hors de la tonnelle qui est notre grotte.

J'ai pris l'habitude d'empêcher mon cœur
à ton passage de provoquer des sueurs.

Mon cœur en est tellement épuisé
qu'il finira comme un verre brisé.

Si dans tes bras je m'apaise demain
toi, qui es un poète d'instinct,

mets-moi sur les tempes des roses
de tes mains fines et nerveuses.

Je les sentirai tomber comme une brise
dans le silence bleu de mon abri.

Tu ne sais pas que la mort est la douceur
jamais ressentie dans notre vie de pécheur ?

Oh, si c'était là le silence éternel !
pas de calme hivernal, pas de soleil.

Je suis fatiguée d'écouter les bruits ;
ils m'offensent et me dérangent la nuit.

Le cerveau me pèse comme un corbeau
fatal cloué à l'intérieur de ma peau.

J'ai tellement envie de dormir...
Oh, que c'est beau de ne rien sentir.

Oh, se laisser aller sans volonté
comme une étoile dans l'immensité.

Ne plus rien savoir ; être un oiseau ;
battre des ailes comme un moineau.

Ne t'attends pas à un cœur sans convulsions ;
tue-le dans un rapt avec toute la passion.

Cette nuit, mon chéri, et pas demain.
L'heure est douce et le moment souverain.

C'est ici, parmi les fleurs pâles et fanées
que meurent aussi mes angoisses obstinées.

Ne tarde pas cette nuit, je suis si seule
et je tremble, je tremble comme une feuille.

C'est cela l'amour, c'est cela, je le sens
en tout atome vit une pensée, une sentence.

Je suis une et je suis mille ; toutes les vies
passent en moi, me mordent à l'envie.

Et je n'en peux plus ; chaque goutte
de mon sang c'est un cri et une note.

Et je me plie, me plie sous la poussée
d'un baiser énorme, d'un énorme baiser.




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