Maaza Mengiste


 

1935

La guerre, c'est tout ce qu'ont à la bouche la cuisinière et les servantes qui se retrouvent au marché, Elles s'agglutinent pour évoquer à voix basse des rumeurs d'esclaves affranchis, libérés par l'armée italienne ferenj. Elle secoue la tête.

Elle ment, dit Aster. Regarde. Elle brandit un bout de papier. C'est l'un de ces tracts qui jonchent le marché. Elle ignorait que la cuisinière en avait un. Et qu'elle le gardait soigneusement caché.

C'était sous la couverture de la cuisinière. Ce sont les papiers que les Italiens larguent depuis leurs avions. J'en ai entendu parler. Ils racontent aux gens qu'ils seront libérés s'ils choisissent le camp des ferenjoch.

Kidane s'empare du papier et l'examine à la lumière. Un dessin bancal surgit en transparence. On voit un mendiant enchaîné et squelettique à genoux devant un homme à grosse tête arborant une couronne. En dessous, surmonté d'une succession de mots, le même mendiant se tient debout, ses chaînes brisées, avec à ses pieds la couronne fracassée de l'empereur. Un peu ventripotent à présent, il salue un soldat d'un bras dressé bien droit, avec un sourire de jubilation.

Ces Italiens veulent déclencher une révolte avant de s'emparer de notre pays, dit Aster. Mussolini veut que ces gens rejoignent son armée.

Mais ils ne savent pas lire. Le regard de Kidane oscille entre le tract et le fusil.

Ils comprennent les images.


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