Nega Mezlekia

 

De toute sa vie, Mme Ytaferu n'accomplit jamais une seule journée de travail – et pourtant elle n'était ni paresseuse, ni réfractaire au travail. Si Mme Ytaferu ne travaillait pas, c'est que l'année ne comptait pas un seul jour qui ne fût sacré à ses yeux.

Le calendrier éthiopien se divise en treize mois d'une durée de trente jours chacun, à l'exception du dernier qui n'en compte que cinq ou six, au gré des années bisextiles. On attribue chaque jour à un ou deux saints. Bien sûr tous les saints ne sont pas créés égaux. En réalité, seuls quelques-uns d'entre eux sont considérés comme assez importants pour justifier un congé officiel empêchant l'agriculteur de labourer la terre et le menuisier d'abattre un arbre. Aucun pêcheur, par exemple, ne peut pêcher les dix-neuvième jour du mois, qui est réservé à saint Gabriel, ni le vingt-troisième jour du mois, consacré à saint Georges. D'autres ont des saints de prédilection qu'ils honorent tout au long de l'année, ce qui a pour effet de réduire encore le nombre de jours au cours desquels ils sont autorisés à travailler.

Le problème d'horaire auquel faisait face Mme Ytaferu était d'autant plus épineux que certains jours consacrés à des saints coïncidaient avec des jours réservés aux esprits. Elle devait alors faire un choix lourd de conséquences. Ses Wukabi (esprits) l'emportaient toujours sur les saints, quoique, certains matins, elles avait le temps de filer à l'église et de rentrer dare-dare faire la paix avec ses esprits. Ces jours-là, elle fermait la porte et les fenêtres de sa chambre et, à l'aide de chiffons, colmatait les moindres fissures, de crainte que les saints ne la surprennent en flagrant délit de communication avec les esprits.

Tout compte fait, les congés de Mme Ytaferu, qui exigeait chacun force prières et louanges et lui interdisait tout travail, consistaient en 263 journées consacrées à des saints, 52 dimanches, 9 autres fêtes chrétiennes, 13 journée consacrée à l'Adhar (arbre sacré) ; 36 journées voués aux Wukabi et 12 journées réservées à l'adoration des esprits de ses ancêtres. Au total, cela représentait, pur une année moyenne, 368 journées d'activité forcée consécutives. Hélas, il manquait au calendrier trois jours pour qu'elle pût terminer ses prières.


Dans le ventre d'une hyène


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