Yamen Manai


 

Je revenais du collège quand j'ai rencontré Bella. J'avais quoi, douze ans. Un après-midi de novembre, morose. Un garçon triste, chétif, une tête à claques, la tête baissée, la peur qui habite les tripes, et parfois l'envie d'en finir. On n'imagine pas ce que ressent un enfant quand il faut qu'il se fasse plus petit qu'il n'est, quand il n'a pas le droit à l'erreur, quand chaque faux pas prend un air de fin du monde. Mais en l'entendant ce jour-là, j'ai redressé le menton. C'est quoi, ce son à peine audible, cette voix qui réclame ? Je suis allé voir. Ca provenait d'un chantier ouvert, une maison en cours de construction loin d'être achevée. Les ouvriers absents, je me suis approché, je me suis penché. Elle était là, cachée, guère visible sous les cartons d'emballage. Elle était minuscule, encore plus minuscule que moi, une maigre boule de poils beiges tachetés de blanc sur le museau et sur le front, et des yeux encore collés. Je l'ai prise et je l'ai tout de suite aimée.

Blottie dans ma paume, elle ne bougeait plus, elle sentait ma chaleur et était rassurée. Je ne pouvais pas l'abandonner à son sort, seule ensevelie sous ce tas de cartons, et rentrer au bercail comme si de rien n'était. Ca m'était insupportable, impossible. Je savais qu'à la maison, personne n'en voudrait, déjà que je me sentais de trop.Mais il était hors de question de la larguer, de continuer à être faible de la sorte. Je me devais d'assumer, d'être courageux pour elle. Il fallait que je devienne un homme.


Bel abîme

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