Mahmoud Messadi



 Sindbad et la pureté

C'était une nuit de tragédie, de branle et de bruit. Les puissances de destruction et de création hurlaient à l'envi et plus rien ne tenait en place : on eût dit que, dans un effort inouï, quelques néant tendait à être, ou quelque vie à s'abolir.

Sindbad sortait de l'hostellerie, portant une sacoche. Il fut accueilli à la porte par un souffle puissant de ce vent qui, véritable guerre déchaînée, ne cessait d'ébranler le monde depuis le jour où un navire l'avait rejeté dans cette ville. Il se détourna sous le coup puis s'arrêta net tandis que le vent le secouait avec violence, rabattant sa sacoche sur ses genoux et lui envoyant une charge de poussière au visage et dans les yeux. Son corps fut tenté un instant de communier avec la tempête pour se métamorphoser en pur souffle telle une voile tendue. Mais Sindbad se refusa au jeu et tint ferme. « Quelle farce grotesque et qui n'a que trop duré, s'écria-t-il, que ce combat entre les deux ogres : l'Etre et le Néant ! Ne finiront-ils donc jamais ? Je ne vois d'ailleurs pas de spectateurs, pourquoi alors ce combat qu'ils se livrent ? »

Il entra dans une taverne dans sa quête de pureté. Certains hommes pieux se chargent, dans les mosquées, d'entretenir les abluttoirs, les latrines et les citernes ; ils veillent sur les prieurs quand, ayant déféqué, ceux-ci se lavent les fesses et le sexe et achèvent leurs ablutions rituelles ; ils les fournissent en eaux pour les aider à accomplir la prière, sans éprouver le moindre dégoût ni se plaindre.

La tâche des tenanciers de taverne est encore plus dure, plus répugnante, plus douloureuse. Les voyageurs viennent à eux des profondeurs du continent avec toute la puanteur de la terre et de la vie, l'âme en décomposition, le visage comme à l'agonie, tourmentés par l'angoisse et crispés de souffrance ; ou bien descendent des navires, sentant comme une odeur de poisson pourri, le front marqué par la malédiction, le geste et la parole chargés des effets entremêlés des tempêtes en mer, des périls des contrées lointaines et de l'aspect sauvage de tout homme venu d'ailleurs. Alors les taverniers leur servent à boire, et leur apprêtent le gite pour les aider à assurer leur salut, sans éprouver le moindre dégoût ni se plaindre.

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