Yamen Manai


 La chienne avait pissé sur le tapis du salon alors qu'elle était encore bébé. Ma mère en avait fait un véritable scandale. Mon tapis, mon beau tapis... Elle se lamentait. Dehors, toi et ton klebs ! Comme si la chienne avait pissé du pétrole. On est sorti tous les deux se réfugier dans le jardin.

Le soir même elle m'en avait reparlé. Je ne sais pas si c'était pour s'excuser de son attitude ou, au contraire, pour la justifier. Tu sais, les anges n'entrent pas dans la maison où il y a un chien. Tu plaisantes ? Tu crois que les anges entrent dans la maison où il y a ton mari ? Toi, depuis que tu as ce chien, ta langue s'est bien pendue. Si je n'avais pas ce chien, ça ferait un moment que je me serais pendu. Elle m'a regardé et son regard disait qu'elle avait envie de croire que je bluffais.

C'est une bonne musulmane et comme tout musulman elle avait un problème avec les chiens. Tout ça à cause de ces putains de hadiths. Vous savez, ces paroles qu'on a écrites quasi trois cents ans après la mort du Prophète. Certains chargent les chiens et rapportent qu'il n'est autorisé d'en avoir que pour la chasse. Trois cents ans. Quand je vois circuler les nouvelles et comment elles se déforment le jour même, je me dis que se persuader qu'un téléphone arabe qui a fonctionné sur trois cents ans rapporte une parole authentique, de là à manger de la paille, il n'y a qu'un pas. Vous savez comment commence un hadith ? Il commence comme ça : d'après A, d'après B, d'après C, d'après D, d'après E, et ça peut aller jusqu'à la fin de l'alphabet. Ce merdier s'appelle la chaîne de transmission, il y a des gens qui passent leur vie à déterminer leur authenticité, à jauger si les chaînes sont fortes ou faibles, sans jamais les mettre en doute, sans dire que ce sont des chaînes à briser.


Bel abîme

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