Bechir Khraïef

 

L’écrivain Béchir Khraïef (1917-1983) peut être considéré, sans conteste, comme l’un des fondateurs majeurs du roman tunisien. Et comment oublier sa fameuse nouvelle Khalifa al-Agraa ? (1960, revue Al Fikr (trad. Khemaïs Khayati, «Khalifat le teigneux», revue Europe, spécial «Littérature de Tunisie», n°702, oct.1987). Cette nouvelle fut adaptée au cinéma en 1969 par Hamouda Ben Hlima.

Khalifat le teigneux

Khalifat trouva un coin ombragé et frais.

Là, il y avait une jeune fille vêtue d'une vieille robe, les pieds tendus, la tête enfouie dans les bras et le visage couvert par de longs cheveux. C'était Jalila, la fille du Haj.

  • Par Dieu le grand, d'où es-tu tombé ?

Elle rougit comme quelqu'un pris sur le fait, tira sa robe sur ses doux genoux et cacha sa poitrine. Il lui répondit :

  • Je ne savais pas où aller par cette chaleur. Et toi, que fais-tu ici ?

  • Moi aussi, je ne savais où aller.

  • Et où veux-tu aller ?

Sa peur dissipée, Jalila sentit le calme la gagner, le calme que trouverait un orphelin aupris d'un chat ou d'un chien dont il ferait un confident pour libérer son cœur du poids d'une douleur...

Elle répondit :

  • Moi... Je veux traverser mers et contrées pour aller dans un endroit où je ne connaitrai personne et où personne ne me connaîtra.

  • Et pourquoi ?

  • Ceux que je connais me fatiguent... Mon cœur étouffe...

  • Tu veux être étrangère... comme moi... Celui qui a des parents n'en veut pas et celui qui n'en a pas veut en avoir.

Elle leva vers lui des yeux noirs grands ouverts. Il n'est ni un chat, ni un chien et elle n'a pas besoin de deviner que... Khalifat comprend sa douleur.

(…) Le lendemain, les palabres prirent la place des plaintes, les rires celles des pleurs et les plaisanteries celle du silence.

Ils avaient l'âge auquel la nature offre les parures de la jeunesse. A chaque fois que Jalila se trouvait seule, elle regardait les transformations de son corps et de sa fertilité, la douceur de sa peau, les rondeurs de ses bras et le galbe de ses cuisses. Elle s'étonnait de voir naître sur sa poitrine deux dômes blancs et soyeux avec en leur centre un bouton de la couleur des lèvres. Elle les entourait de ses mains, essayait de les rapprocher, les relever, jouer avec eux maints jeux qui éveillait en elle cet étrange sentiment qui lui donnait la chair de poule.

Quant à Khalifat, il s'étonnait de sa force naissante, du durcissement de ses muscles et du flux de la jeunesse, des forces bouillonnantes circulant dans ses veines.

Leur amitié était telle que chacun fit découvrir à l'autre les charmes de la jeunesse qu'ils comparèrent et accordèrent dans l'harmonie... La passion l'emporta sur les précautions... Et elle planta ses ongles sur son visage.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Jorge Ricci

Hororo